9 H du soir le 29 octobre 1901

Mon TISTOU adoré
Oh ! Mon cher, quelle émotion, j'ai cru que s'en était fini de ta TASON et de nos deux amours .
Le 23, à 2h , par un temps calme, nous sommes tous réveillés par un bruit épouvantable et des oscillations allant de l'avant à l'arrière, terrible . En un clin d’oeil, passagers et passagères affolés, en chemises, sont dans les couloirs pour savoir la cause de cet état effrayant. Moi, comme la plupart des passagers avons cru à un abordage.Je me hâte de prendre les ceintures de sauvetage. J'ai tout mon sang froid . Je veux faire
l'impossible pour me sauver avec mes deux petits. L'état-major vient rassurer : c'est l'arbre de couche qui est cassé . L'acier a éclaté en sept endroits , cela a été terrible, deux tours de plus d’Hélice et la voie d'eau , faite à l’arrière nous faisait sombrer.1/4 h après l'accident , il y avait déjà 0,3 l d'eau dans la cale .L'ouverture tamponnée tant bien que mal , les pompes sont mises en mouvement et fonctionnent toujours .Les voiles sont mises , nous filons à 3 noeuds.

Le lendemain, nous étions à 100 miles de MESSINE. Sept bateaux aperçoivent pendant ces deux jours nos signaux de détresse , s'approchent mais ces chiens d'Anglais et d'Italiens refusent, étant courrier de la poste, de nous prendre ou demandent 150 000 fr pour la remorque .Le commandant refuse .Le 24 se passe sans trop d’inquiétude , mais lorsque la nuit approche, la pluie tombe furieusement , le tonnerre gronde ; les éclairs se suivent ; effrayant .On commence à en vouloir au commandant de marchander ainsi la vie de 900 personnes.Je passe ma nuit assise sur la petite malle de cabine .J'ai peur et beaucoup de personnes sont comme moi .Mes ceintures sont prêtes sur le lit .Enfin le jour paraît , la mer a grossie et de plus , nous ne gouvernons plus.A l'aurore,, chacun a poussé un crie de joie en apercevant la terre.A 9h , nous sommes attirés, les courants nous poussent vers les rochers de la SICILE. Un Italien (navire) passe , nouveau refus , il faut qu'il soit à jour fixe à Alexandrie. Quel atterrement!les passagers sont furieux après le commandant ; si cela continue nous risquons d'aller toucher les récifs qui sont près de nous. On serre les voiles.

Enfin, à 3 h , un cri de joie : un bateau en vue .Il nous aperçoit, de plus il porte pavillon français. Il y a de longs pourparlers .Le commandant juge la position dangereuse .Les compagnies s'entendront .Les amarres sont lancées .L'ANTONY DES PASQUIERS nous remorque (note de l'éditeur: je n'ai trouvé aucune trace d'un navire de ce nom, ni d'un affrêteur français appelé Du Pasquier ou Des Pasquiers... Les sources habituelles signalent que le CALEDONIEN a été remorqué par l'HIMALAYA de la P&O) .Nous sommes sauvés. On se demande par quel hasard ce bateau s'est trouvé dans ces parages qui ne sont pas une ligne et de plus sont dangereux .Le commandant suppose que nous allons rester quelques jours à MESSINE attendant le bateau que la compagnie enverra pour nous remorquer jusqu'à MARSEILLE .Le moral et la santé sont bons. Les enfants de plus en plus insupportables .Georges surtout.Il est vrai qu'il y a de quoi être énervé ! Pour moi , plus de vomissements à peine , à 3h, un petit accès de fièvre . En ce moment il grêle , la mer est grosse , un fort roulis.Notre remorqueur part ce soir pour MARSEILLE et emportera le courrier avec l'agent des postes .

Sois sans inquiétudes mon amour adoré. C'est moi ,qui une fois débarrassée de cette affreuse vie à bord avec deux turbulents enfants vais être dans un perpétuel tourment pour la santé de mon TISTOU. ….........

Anastasia BATTISITINI