La tentative de torpillage du paquebot DUMBEA le 2 août 1915
 

Copie du Rapport manuscrit du commandant Joseph,
publié dans "La Licorne" N° 9 mars/avril 1970. .
 

Paquebot : le " Dumbea"

Commandé par M. Joseph

 
 Parti de Marseille à destination d'Alger le 31 juillet à 5 h. 10 du soir avec 39 hommes dont 4 Officiers et diverses marchandises pour C.E.O (1) .
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A 6 h. 58 matin le 2 août, arrivé devant Alger après avoir doublé le Cap Matifou à 4 milles, stoppé pour les formalités d'arraisonnementset à 8 h. 22,amené au
môle Djofna.
Parti d'Alger à destination de Bizerte le 2 août à 7 h. du soir, suivant instructions du Commandant de la Marine d'Alger, aprés avoir embarqué 1 Sous-Officier et
du materiel pour le C.E.O. ,à 7 h. 28 mis en avant en route libre.
Beau temps, brumasseux, faible brise de la partie sud, mer belle et phosphorecente.
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Pendant mon séjour à Alger ,j'avais fait prendre toutes les précautions contre une attaque de sous-marins. Embarcations, ceintures de sauvetage, cloisons
étanches, tout était prêt avant de prendre la mer.

A 9 h. 18 du soir, étant à 13 milles au N  21° E vrai du feu du Cap Matifou, j'entendis  de la passerelle inférieurre, ou je me trouvais assis sur une banquette, le
commandement : " A gauche toute" de l'Officier de quart M. Antoine Tramoni, en même temps que le timonier Laurent Poggi, de veille sur la passerelle supérieure,
coté tribord, s'écriait : " Nous sommes torpillés ! "

Je saute immédiatement sur la passerelle supérieure et dans la direction indiquée par l'officier et l'homme de veille, j'aperçois le sillage d'une torpille qui nous
avait été lancée un peu obliquement sur l'avant à nous de tribord à babord , la mer était tellement phosphorescente que le sillage était bien marqué sur la surface
calme de l'eau et ne laissait aucun doute sur l'engin qui nous était destiné.

Le sous-marin avait dû tabler sur une vitesseplus grande pour atteindre son but, mais la "Dumbéa" marchait à  l'allure de 51 tours qui correspondait à 10  noeuds environ à cause de ses sept mois de carène, et la barre ayant été mise trés promptement  à gauche toute , la torpille est passée sur l'avant à effleurer l' étrave. Je donnais  immédiatement  à la machine l'ordre de marcher à toute vitesse et doubler les quarts de chauffe pour faire monter la pression le plus rapidement possible en explorant l'horizon sur notre arrière, nous apperçûmes un sous-marin en surface, à  deux quarts environ de l'arrière côté tribord, nous prîmes chasses devant lui en manevrant  rapidement la barre et en lui presentant toujours l' arrière .

La phosphoréscence des eaux à laquelle  nous dûmes nôtre salut, et son sillage nous révélaient l'endroit ou il était, de temps en temps on apercevait  aussi une
lueur blafarde qui disparaissait. Le sous- marin nous a chassés pendant une heures environ, j'avais fait monter  tout le monde sur le pont pour exercer une veille trés attentive, le sous- marin se montrait tantôt par babord, tantôt  par tribord arrière.

Les hommes de veilles à la calle n° 3 m'ont declaré qu'une  deuxième torpille nous fut lancée sur notre côté babord arrière, mais elle  manqua  aussi  son but ,
et vint passer  à quelques mètres du bord . La "Dumbéa" ayant toujours manoevré  pour présenter l''arrière du sous-mari dès qu'il était aperçu, nous pûmes éviter d'être torpillés. La veille soutenue et rigoureuse pendant plus d'une heure a préservé la "Doubéa" d'une catastrophe certaine.

Je signalerai d'une façon toute spéciale mon 2e Lieutenant M. Antoine Tramoni, et le timonier Laurent Poggi, qui ont vu les premiers le sou-marin et la première
torpille qu'il nous a lancée.

Si nous avions eu une piéce de pêtit calibre sur l'arrière nous aurions trés bien pu couler le submersible qui s'obstinait à nous pourchasser et à nous torpiller.  J'ai signalé au poste de T.S.F. d 'Alger notre position à l'attaque dont nous étions l'objet; d'autre navires se trouvaient non loin de nous, j'ignore s'ils furent inquiétés par le sous-marin. A 10 h. 08 du soir, le 2 août, j'ai fait route à toute vapeur au nord du monde, parcourant 40 milles, une fois à 56 milles de la côte, j'ai fait route sur Bizerte en passant à 26 milles au nord de la galite .

Tout l'équipage de la "Doumbéa" sans exeption, et les quelque passagers militaires que nous avions ont été remarquables par leur sang-froid et leur esprit
d'abnégation pendant les moments pénibles que nous avons traversés, je doit à la vérité de le dire ici.

Le 3 août à 6 h.du soir, j'ai signalé par T.S.F. au Préfet Maritime de Bizerte de m'envoyer par L : 37''  58' N  G :7'' 14' E  un torpilleur pour m'escorter et qu'à 4 h.
du matinle 4 août je serais à la position indiquée. J'ai trouvé deux torpilleurs au point convenu qui m'ont escorté jusqu'à Bizerte ou je suis arrivé le 4 août à 7 h.43
du matin.

 Je dois ajouter qu'aussitôt aprés le premier torpillage, je fis éteindre tous les feux de route, ainsi que toutes les lumières des cabines pour dépister le sous-marin, j'ai navigué j'usqu'à Bizerte tous feux de route  éteints et sans aucune lumière apparente de l'extérieur.

Appareillé de Bizerte le 4 août à 6 h. 30 du soir aprés avoir embarqué 1 231 hommes de troupes (dont 13 Officiers, 63 Sous-Officiers )  7 chevaux, et 71 colis  à
7 h.33 mis en avant en route libre. J'ai été escorté jusqu'au Cap Bon par un torpilleur . Beau temps clair, brise du nord, mer clapoteuse du vent léger roulis.
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De Bizerte à Lemnos, je me suis toujours conformé,quant aux routes à suivre ,aux instructions confidentielles qui m'ont été remises par le Contre-Amiral
Commandant la Marine à Marseille .

Arrivé à Moudros le 8 août à 11 h. 55 matin stoppé pour les formalités d'arraisonnement et à 0 h. 35 de l'aprés-midi, mouillé dans le S.E. de l'ile Alago par 22
mètres de fond.

Le 9 août à 7 h.0 45, appareillé et mouillé à 8 h. 22 par 12 mères de fond devant Moudros pour le débarquement des troupes et deu matériel de guerre.

                                                                              Le Commandant
                                                                              Signé: joseph


                                                                              Moudros le 8 août 1915
LETTRE
A M. LE CAPITAINE
DE VAISSEAU
C P C M.
 

Commandant,
J'ai l'honneur de vous adresser une copie de mon rapport de mer, Alger-Bizerte, ou vous verrez que j'ai été torpillé par un sous-marin alors que je me trouvais à 13 milles
au N 21° E vrai, du feu du Cap Matifou.
Je naviguais avec mes feux de route clairs pour donner l'apparence d'un navire neutre, du reste d'autre navires se trouvaient non loin de nous avec leurs feux de navigation
réglementaires.
Je fis éteindre tous les feux après le premier torpillage et ordonnai à la machine de marcher à toute vitesse en manoeuvrant pour présenter l'arrière au sous-marin qui nous
pourchassait.
Les hommes qui se trouvaient sur l'arrière de la claire-voie de la machine ont vu passer à quelques mètres du bord côté bâbord, une deuxième torpille. Après une heure
environ de routes sinueuses pour présenter l'arrière au sous-marin, je me suis éloigné de la côte à toute vapeur et ai fait route ensuite sur Bizerte.
J'ai remis au Préfet Maritime de Bizerte cette même copie de mon rapport de mer.
Je dois vous dire que je devais tout d'abord prendre un contingent assez important de troupes à Alger, en arrivant dans ce port l'Amirauté me fit savoir que les troupes
avaient acheminées par voie de terre sur Bizerte ou j'avais à embarquer toutes les troupes, soit 1.200 ou 1.300 hommes.
Peut-être nos ennemis savaient-ils par des espions que nous devions prendre des troupes à Alger ? et se sont tenus à l'affût pour nous couler ?
A la marine d'Alger on ne m'avait pas parlé de sous-marin, de sorte que je faisais route pour passer à 15 milles de terre, suivant les instructions confidentielles, cependant
j'avais pris toutes mes précautions car j'avais entendu dire qu'un sous-marin avait été aperçu aux environs d'Alger et ce qui me faisait ajouter foi à cette rumeur, c'était
l'acheminement sur Bizerte du contingent des troupes que je devais prendre à Alger.
Enfin, nous avons eu la bonne fortune d'échapper aux torpillages

Je vous signalerai Commandant que deux hommes de mon équipage ont manqué le départ du navire à Alger, ce sont le nommé P. L....., aide-cuisine, inscrit à Marseille,
et le nommé M. Z....., aide cuisine , sujet Arabe, tous deux embarqués à Marseille, le 28 juillet 1915. Il pourrait se faire que ces individus aient eu des accointances avec
des espions fréquentant le port d'Alger, car tout le monde savait à bord que nous devions prendre des troupes à Alger pour les Dardanelles.
Veuillez agréer, Commandant l'assurance de ma respectueuse considération.

                                                                        Le Capitaine
                                                                        Signé : J. Joseph.
 
 

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©Philippe TRAMONI 2001